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Pour accélérer la transition écologique,
limitons notre vitesse
La limitation de la vitesse sur les autoroutes allemandes est sûrement un des débats les plus emblématiques sur la transition écologique. Ce n’est pas pour rien que c’est l’une des mesures proposées par certaines associations environnementales à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle de juger la loi sur la protection du climat non conforme aux droits fondamentaux, car insuffisamment protectrice et précise au-delà de 2030 [1].
Depuis, l’Allemagne a revu ses objectifs à la hausse. D’ici à 2030, les émissions doivent désormais être réduites de 65 % par rapport aux niveaux de 1990 – au lieu de 55 %, comme le prévoyait la loi. De beaux objectifs à première vue, même s’ils sont encore insuffisants au vu de l’enjeu, et que peu de moyens concrets pour y arriver sont avancés.
Alors pourquoi ne pas s’attaquer directement à une réforme qui semble si facile et si peu coûteuse à mettre en place? La non limitation de la vitesse sur autoroutes, cette spécificité de l’Allemagne qui faisait à l’époque sa fierté, est toujours en vigueur et paraît de plus en plus anachronique. N’est-ce pas une aberration que l’Allemagne, pays qui se veut à la pointe de la lutte contre le dérèglement climatique, soit le seul pays industrialisé au monde à ne pas imposer une limite sur ses autoroutes, et maintienne cette réglementation à contre-courant des initiatives comme celle des Pays-Bas, qui a imposé récemment une limitation à 100km/h en journée.
Tout d’abord quelques ordres de grandeur : plus de 70% du réseau autoroutier allemand n’est pas limité [2]. Il convient de souligner que ces tronçons ont tendance tout de même à s’amenuiser en raison des limitations imposées à proximité des zones urbaines et des nombreux travaux autoroutiers. Les conséquences d’une limitation seraient tout d’abord de sécuriser le trafic, bien que les détracteurs d’une telle mesure vous diront que les autoroutes allemandes sont peu meurtrières par rapport au reste du monde et que les accidents mortels se passent surtout sur le réseau secondaire [3]. Un argument à relativiser car une étude comme celle menée dans le Land du Brandebourg où une portion de 62 km passée à une limitation de vitesse à 130 km/h en 2002 montre que le nombre d’accidents a été ainsi divisé par deux [4]. Il est aussi mis en avant que la réduction de la vitesse engendre une circulation plus fluide et agréable, et moins de bouchons [2].
Mais la principale motivation qui nous anime ici sont les effets sur l’environnement : réduction de la pollution sonore (même si la plus grande partie vient des camions, déjà limités en vitesse), et surtout la réduction des émissions de gaz à effet de serre. On estime que l’Allemagne diminuerait de 6.2 millions de tonnes ses émissions en équivalent CO2 par an, avec une limitation à 100 km/h. Pour une limitation à 130 km/h, ce qui semble être une première étape et un compromis plus facile à trouver pour certains, la réduction serait de 1,9 millions de tonnes [2]. Sur le plan économique, l’estimation est plus controversée : il y a ceux qui pensent que la mesure ne coûtera rien, ceux prétendant qu’elle fera perdre du temps et donc de l’argent [5] et d’autres qui pensent qu’elle sera plutôt avantageuse, car le coût global pour la société diminuerait, la perte de temps étant compensée par l’économie en énergie [2].
Les opposant.e.s peuvent aussi avancer qu’avec l’émergence des voitures électriques, l’argument environnemental n’est plus aussi pertinent. C’est oublier que les voitures électriques ne sont pas entièrement zéro émission, et que cela dépend fortement du mix énergétique pour la production d’électricité, qui se trouve être plutôt carboné en Allemagne. Selon certaines études, elles seraient toutefois plus vertueuses sur le plan des émissions de C02 que la motorisation thermique à modèle équivalent, mais loin d’être entièrement neutre [6]. Et il est également bon de rappeler que toute production d’énergie, même dite “renouvelable”, a un coût environnemental.
Au-delà même des considérations précédentes, c’est aussi le symbolisme d’une telle non-limitation qui pose problème. Quelle valeur cela met-il en avant ? Voulons-nous d’une société qui prône l’individualisme et pousse les constructeurs automobiles à proposer toujours plus gros et plus rapide ? Si la solution au transport individuel passe par l’électrification du parc automobile, cela devra aussi se faire en remplaçant nos voitures actuelles par des modèles moins lourds et moins puissants [7].
Pour conclure, il est évident que si l’Allemagne veut qu’on la prenne au sérieux sur la transition écologique, elle doit impérativement mettre une limitation sur ses autoroutes, ainsi que réduire la limite de 100km/h sur son réseau secondaire. Une majorité d’allemand.e.s sont pour [8], et même ADAC et ses membres ont changé d’opinion sur ce point [3]. Ce sera aussi l’une des premières mesures que prendront les Grünen s’ils parviennent au gouvernement [9].